dimanche 28 février 2016

France — « C'est dans les écoles libres qu'on trouve les meilleures formations »

Anne Coffinier dirige une fondation qui favorise le développement d’écoles privées hors contrat, plus performantes, selon elle, que les écoles publiques. Entretien avec Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste.

Jean-Paul Brighelli. — Vous dirigez la Fondation pour l’école. Pourriez-vous présenter brièvement cette organisation, ses buts, ses principes et ses réalisations ?

Anne Coffinier. Le but de la Fondation pour l’école est de contribuer à l’amélioration du système éducatif français dans son ensemble en le stimulant par le développement d’un secteur éducatif libre. Le développement d’établissements indépendants ou hors contrat n’est pas pour nous une fin en soi, mais, selon nous, le meilleur moyen de stimuler la réforme du système éducatif dans son ensemble, car l’Éducation nationale a montré son incapacité à le faire par elle-même. Nous voulons démontrer par les faits que des écoles authentiquement libres peuvent rendre à la société un service de bien meilleure qualité et à plus bas coût que les écoles publiques actuelles. Nos actions sont multiples. Je vous renvoie au site www.fondationpourlecole.org pour les découvrir plus précisément.

J’ajouterai une précision sur le statut de notre organisation. La Fondation pour l’école est une fondation reconnue d’utilité publique en 2008 par décret du Premier ministre après avis positifs du Conseil d’État et des ministères de l’Éducation nationale et de l’Intérieur. Une procédure donc contraignante et exigeante. Son statut de fondation reconnue d’utilité publique est parfaitement justifié au regard du caractère constitutionnel de la liberté d’enseignement, et donc de la nécessité d’encourager cette liberté dans un contexte où l’État ne s’en est pas suffisamment préoccupé (contrairement à d’autres pays comme la Suède, les Pays-Bas, le Danemark, qui prévoient un financement paritaire pour leurs établissements libres, tout en respectant effectivement leur liberté).

Notre fondation n’est financée que par des dons privés librement consentis par les personnes. Cette implication financière désintéressée de la société civile dans le secteur éducatif est une chance pour notre pays qui doit reconquérir ses avantages comparatifs en matière d’éducation. Chaque enfant scolarisé dans une école indépendante fait économiser entre 6 000 et 9 000 euros par an à la collectivité publique. Ces financements par don des écoles indépendantes ne lèsent donc personne, et surtout pas l’école publique.


L’usage de l’argent reçu par notre Fondation est contrôlé en interne par le commissaire de gouvernement — un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur qui siège à tous nos conseils d’administration — et en externe par le commissaire aux comptes et, potentiellement en tant qu’institution d’intérêt général recevant des dons du public, par tous les organes publics de contrôle comme la Cour des comptes par exemple. Une fondation, surtout si elle se finance par appel à la générosité du public, est très fortement contrôlée, beaucoup plus en tout cas que les nombreuses associations loi 1901 vivant sous perfusion de l’État ou des collectivités locales par exemple.

Les écoles que vous patronnez sont entièrement privées. Leurs programmes sont-ils pour autant calqués sur ceux des écoles publiques ? Dans quelle mesure vous en distinguez-vous ? Dans les méthodes ? Dans les objectifs ?

Que ce soit clair, notre fondation ne patronne rien du tout. Elle n’est pas davantage une fédération d’écoles, mais simplement une structure d’appui aux écoles libres, qui ont toute liberté de recourir ou pas à ses services (gratuits). C’est une précision de taille, car une grande partie du problème de l’Éducation nationale vient de sa centralisation, qui décourage par son bureaucratisme toute initiative et démotive bien des professeurs. Nous pensons a contrario que le principe d’organisation pertinent est la subsidiarité.

Les écoles indépendantes sont libres de fixer leur programme, mais doivent respecter le socle commun de compétences fixé par le législateur. De surcroît, elles préparent dans les faits leurs élèves aux mêmes examens de référence que tous les autres élèves de France. En pratique, leur programme ressemble beaucoup (trop, à mon avis !), surtout dans le secondaire, à celui de l’école publique, même s’il est heureusement plus riche, moins éparpillé, mieux articulé (l’histoire est vue de manière chronologique, la pédagogie est généralement une pédagogie explicite, allant du simple au complexe de manière progressive, logique et structurée).

S’agissant des objectifs, cela dépend totalement des écoles, qui sont extrêmement variées : notre site dénombre aujourd’hui 713 groupes scolaires indépendants. Sur ce total, on recense, par ordre décroissant d’effectifs scolarisés, 410 écoles non confessionnelles, 176 écoles de confession catholique, 60 écoles de confession juive, 24 écoles de confession protestante, 25 écoles de confession musulmane, 26 écoles de philosophie Steiner, 12 écoles d’une autre confession ou orientation philosophique. On relèvera aussi qu’il y a 55 internats, 88 écoles Montessori. Vous voyez donc qu’il y a 75 % des écoles indépendantes qui sont non confessionnelles. Les ouvertures d’école ces dernières années correspondent massivement à des écoles Montessori ou soucieuses de développer une meilleure qualité de vie pour les élèves, notamment en intégrant la préoccupation écologique.

Autant que je sache, vous connaissez depuis la création du réseau un grand succès. À quoi l’attribuez-vous ?

C’est un faisceau de causes. Nos contemporains se sont habitués à pouvoir choisir librement dans tous les champs de leur existence. Vous ne les ferez pas adhérer à l’école unique pas plus que vous ne les persuaderez de renoncer à la liberté d’information qu’Internet leur a apportée ! Notre époque veut plus de liberté de choix, y compris en matière éducative, notamment parce qu’elle est plus attentive à la diversité des besoins éducatifs des enfants. Près de 50 % des élèves passent à un stade ou à un autre de leur scolarité par l’école privée, preuve que le choix de l’école n’est plus une question idéologique ou religieuse. Le nombre de personnalités de gauche scolarisant en catimini leurs enfants dans le privé nous dispense à cet égard de longs développements. 

Inversement, une offre scolaire à prétention monopolistique comme l’est l’Éducation nationale est incontestablement l’apanage des États totalitaires et de nombre de dictatures. C’est un fait historique qui devrait interpeller toute personne attachée à la liberté de pensée et aux grandes libertés politiques qui en découlent. Il est clair aussi que le délabrement de l’Éducation nationale et la saturation en bien des endroits des bons établissements de l’Enseignement catholique jouent aussi un rôle dans le fort développement des écoles indépendantes : c’est ainsi que 58 nouvelles écoles ont ouvert en septembre, ce qui est vraiment beaucoup.

Les récents événements, la montée du djihadisme en France, ont amené bien des commentateurs (moi-même, en l’occurrence) à insister sur la nécessité d’en revenir à une laïcité dure, dont le ressort majeur ne serait pas des prêches sur le « vivre ensemble », mais un recours massif à la transmission des savoirs. Où vous situez-vous dans ce débat ? Le caractère « libre » de vos écoles implique-t-il une adhésion religieuse ?

Je ne vois pas pourquoi vous liez retour à une laïcité dure et retour à l’instruction. Ce sont deux sujets différents. Nous sommes convaincus comme vous que la solution au fanatisme et à la violence réside dans le savoir, la formation de l’intelligence et donc de la raison. L’Éducation nationale a beaucoup perdu en ce domaine, en renonçant beaucoup trop à la formation du sens logique, à la maîtrise systématique et rigoureuse de la langue française... « L’école ne doit pas apprendre ce qu’il faut penser ; elle doit apprendre à penser », estime Marc Le Bris. L’école — d’autant qu’elle est publique et en situation de quasi-monopole — est dépourvue de légitimité pour imposer aux élèves un catéchisme laïciste et relativiste. Rien n’est plus sacré que la conscience d’un enfant. Jules Ferry lui-même le proclamait avec force ! Entre l’influence de sa famille (influence plurielle, chaque famille étant différente) et l’influence univoque d’un État rééducateur des consciences morales, religieuses et politiques, Jules Ferry n’hésitait pas... et moi non plus.

Dans les écoles indépendantes de confession catholique, par exemple, la connaissance de la foi est transmise, la pratique commune de la foi est encouragée (prière, sacrements), mais dans ces mêmes écoles, la raison de l’enfant est autrement plus formée que dans les écoles publiques, parce que l’élève reçoit des cours de grammaire, de dissertation, de latin, d’histoire, de logique autrement plus conséquents qu’à l’école publique. Un élève d’école indépendante a donc bien davantage reçu les moyens intellectuels et psychologiques d’être libre qu’un élève du public.

Vous formez vos propres troupes. Sur quelles bases ?

Nous n’avons pas de « troupes »... Les professeurs qui le désirent peuvent se former dans notre faculté privée d’enseignement supérieur, l’Institut libre de formation des maîtres, moyennant des tarifs très bas pour rester accessible à tous. Notre institut se distingue des ex-IUFM en ce sens qu’il forme en première année les professeurs à la maîtrise des connaissances fondamentales qu’ils auront à enseigner, car nous pensons que le contenu de ce qui est enseigné est essentiel et surtout que sa parfaite maîtrise est décisive. Trop de personnes ont une phobie des mathématiques contractée à l’école primaire auprès d’un instituteur mal à l’aise avec cette matière. Pour apprendre à apprendre, il faut apprendre quelque chose et l’apprendre avec rigueur et exactitude.

La deuxième différence est que notre formation comporte une bien plus grande dimension pratique par un recours important à l’alternance (quatre stages de deux mois auprès des meilleurs maîtres au sein des écoles publiques, privées sous contrat ou hors contrat). Nous pensons que les ficelles du métier s’apprennent par compagnonnage auprès des professionnels chevronnés et reconnus pour leurs méthodes pédagogiques et leur style éducatif. Nos formations sont sur mesure : les stages sont choisis au regard des besoins de formation et des projets professionnels personnels de chaque élève-instituteur. En pédagogie, il est à noter que tous nos intervenants sont des professeurs expérimentés ayant actuellement des classes, ce qui évite d’avoir des pédagogues en chambre qui ont une approche idéologique de l’enseignement. Nos portes ouvertes sont le 14 mars. Venez juger par vous-même !

L’Éducation nationale a le droit d’envoyer des inspecteurs dans vos écoles. Comment cela se passe-t-il ?

Le Code de l’éducation organise dans le détail les inspections propres aux écoles indépendantes, qui sont en définitive très contrôlées. Elles sont inspectées par l’Éducation nationale sur la base de leur aptitude à faire progresser les élèves et à les mener à un niveau satisfaisant, le tout dans une atmosphère propice à leur épanouissement et dans le respect de la loi. À rebours, les écoles publiques ne font jamais l’objet d’évaluation d’ensemble, contrairement à bien des pays européens et notamment à notre voisin anglais qui fait inspecter et noter publiquement toutes ses écoles publiques par un organisme d’évaluation indépendant, l’OFSTED.

En France, conformément à une sorte de mythologie officielle sans lien avec la réalité, les écoles publiques sont réputées assurer en tout point du territoire un service public de même qualité. Inutile donc de les évaluer et de communiquer aux parents les résultats de cette évaluation, lesquels se voient de toute manière interdire par la carte scolaire obligatoire de choisir leur établissement : CQFD !

Seuls les professeurs sont inspectés dans les écoles publiques ou sous contrat pour vérifier leur « docilité pédagogique », et encore est-ce extrêmement rare en particulier dans le privé sous contrat (tous les quatre à sept ans ?). Jamais aucun lien n’est établi entre le niveau académique des élèves, ou du moins leur progression, et la note du professeur inspecté, ce qui est tout de même regrettable. Nous appelons pour notre part à une liberté des moyens pédagogiques et un contrôle étroit des résultats pédagogiques obtenus, alors qu’aujourd’hui c’est le contraire qui est imposé aux professeurs des écoles financées en tout ou partie par l’État : ils sont contraints dans le choix des moyens pédagogiques (méthodes, œuvres à étudier...) et tenus pour irresponsables des résultats académiques obtenus par leurs élèves à court et moyen terme.

Pour vous, y a-t-il encore un avenir pour un service public d’éducation, ou aspirez-vous à une libéralisation totale du système ? Mais alors, sur quel financement ?

Ah, les grands mots... Libéralisation totale... Qui en France aurait le mauvais goût d’y être favorable ? Concrètement, l’État doit garantir à tout élève une instruction de qualité suffisante pour qu’il puisse penser par lui-même, trouver un métier et apporter une contribution responsable à la vie de la cité. Y arrive-t-il aujourd’hui alors qu’il y a 40 % d’enfants en échec à l’entrée en sixième selon ses propres statistiques et un chômage des jeunes parmi les plus élevés d’Europe ? Non, à l’évidence. Alors, puisqu’il est incapable de se remettre en question pour devenir performant (l’horrible mot quand il s’agit d’une noble chose comme l’éducation !), il faut que ce système public tolère davantage qu’il ne le fait des alternatives à sa proposition éducative, dans le respect des lois de la République française, bien entendu. Condorcet lui-même le disait : l’école publique a besoin de l’émulation d’écoles privées pour donner au peuple le meilleur d’elle-même.

Je ne vois pas ce que cette approche aurait à voir avec une quelconque marchandisation de l’éducation, bien au contraire. Plus l’État prendra en charge le financement des alternatives à l’offre publique, plus la perspective d’une marchandisation du secteur éducatif s’éloignera. Mais si l’État refuse de financer le libre choix de l’école, alors fleuriront mille officines lucratives sur les décombres de l’Éducation nationale qui ne feront qu’accroître les inégalités de chances dans notre pays. Aujourd’hui, le privé n’est accessible qu’à ceux qui ont un réseau social et certains moyens financiers. Bref, un petit nombre de privilégiés, 20 % pour être précis. N’est-il pas temps pour l’État d’abolir les privilèges et de reconnaître que les pauvres aussi ont droit de inscrire leur enfant dans une école de leur choix s’ils le souhaitent ?

L’égalité des chances aujourd’hui passe par le droit à recevoir une instruction exigeante qui forme l’esprit solidement. Force est de constater qu’en dehors d’une poignée d’établissements publics prestigieux, c’est dans les écoles libres que l’on trouve aujourd’hui les meilleures formations. Il est donc temps, au nom de la justice, de trouver un moyen pour que tous puissent accéder à une école conforme à leurs besoins, quitte à inventer — en plus des écoles publiques, sous contrat ou hors contrat existantes — un nouveau type d’école plus libre dans sa pédagogie et son recrutement, mais financée sur fonds public, soumise à des inspections indépendantes du ministère de l’Éducation nationale et à la publication obligatoire de ses résultats académiques. Une idée pour 2017 à n’en pas douter !

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